LA TELEMEDECINE EST UNE ETAPE MAJEURE VERS L'EXERCICE OFFICINAL DE DEMAIN

12 juin 2019 par
LA TELEMEDECINE EST UNE ETAPE MAJEURE VERS L'EXERCICE OFFICINAL DE DEMAIN
LES ECHOS ETUDES

Titulaire de la Pharmacie du Progrès à Liévin (62), Sophie Sergent-Decherf œuvre depuis plusieurs années à intégrer la profession officinale dans le développement de la e-santé, en particulier la télémédecine. Elle nous livre sa vision de ce nouveau service et ses conseils pour réussir sa mise à place.

Pharmacienne, diplômée de Politiques européennes de Santé, ancienne administratrice de la coopérative Astera, élue URPS et membre du bureau national de la FSPF, membre du conseil d’administration de la Société Française de Télémédecine… Votre parcours professionnel est riche et emblématique des évolutions importantes que vivent actuellement les pharmaciens d’officine. Sur la base de vos diverses expériences, quel lien faites-vous aujourd’hui entre innovation et exercice officinal ?
Sophie Sergent-Decherf :
  J’ai toujours souhaité avoir une compréhension et une vision prospective de mon métier. Ces différentes fonctions m’ont amenée à travailler sur la place de l’innovation en pharmacie, que cette innovation soit liée à des facteurs sociétaux (connectivité des patients), médicaux (nouvelles thérapies ciblées), organisationnels (coordination interprofessionnelle) ou technologiques (objets connectés, applications mobiles, DMP, e-prescription…). Mon « combat » professionnel est de faire en sorte que la pharmacie d’officine prenne toute sa place dans ces innovations, comme elle l’a toujours fait par le passé, et que les pharmaciens soient reconnus légitimes pour proposer des services à valeur ajoutée, au service à la fois des patients et du système de santé.

Vous travaillez plus particulièrement sur le développement de la télémédecine en pharmacie.
S. S. D. :
La télémédecine est un sujet passionnant car elle est à la convergence des nouveaux services pharmaceutiques, des évolutions technologiques, de la e-santé et des enjeux d’accès aux soins ! La télémédecine en officine est enfin reconnue, grâce à l’avenant 15 à la convention pharmaceutique, signé en décembre dernier avec l’Assurance-maladie. Le chemin a été ardu mais somme toute assez court, si l’on pense que le cadre légal de la télémédecine n’existe que depuis la loi HPST, que le cadre conventionnel des services pharmaceutiques ne date que de 2012 et que les premières expérimentations de téléconsultations remboursables par l’Assurance-maladie ont été lancées en 2016 via les expérimentations du programme ETAPES dans la LFSS de 2014. Le travail législatif mené en 2017 et en 2018 ont ainsi permis de définir les modalités opérationnelles et le financement de ce nouveau service qui apportera, j’en suis convaincue, une réponse efficace aux problèmes d’accès aux soins, notamment des soins non programmés et au suivi médicalisé des personnes atteintes de maladies chroniques. C’est une belle victoire pour la profession !

Où en est-on en avril 2019 ?
S. S. D. :
Nous sommes encore dans l’attente de la parution au Journal Officiel de l’avenant 15, parution qui permettra aux pharmaciens de démarrer effectivement la mise en place de ce service. Car il faut rappeler que pour le moment, les pharmaciens ne peuvent pas proposer de consultations, du moins dans le cadre conventionnel et du remboursement par l’Assurance-maladie. Il y aura par ailleurs, probablement, un délai de 6 mois entre la parution au JO et l’admission au remboursement des téléconsultations en pharmacie. On peut donc considérer que le démarrage effectif se fera plutôt fin 2019.

Pourtant, certains pharmaciens se sont déjà lancés et les offres commerciales se multiplient !
S. S. D. :
Effectivement, ce nouveau marché aiguise les appétits des sociétés privées de télémédecine et des start-up de la e-santé. Les pharmaciens qui se sont déjà lancés le font en dehors du cadre conventionnel. En effet, actuellement, la téléconsultation en pharmacie peut aussi s’inscrire dans un cadre expérimental en lien avec les projets ARS, en dehors du champ conventionnel, ou dans le cadre d’une expérimentation article 51.

Qu’est-ce qui peut expliquer ce retard de parution au JO ?
S. S. D. :
Le remboursement de la téléconsultation représente un poste de dépenses supplémentaires pour l’Assurance-maladie. Il est donc normal que celle-ci soit vigilante sur la montée en charge de ce nouveau service. D’autant que les nouvelles technologies et l’afflux des sociétés privées de téléconsultations dites ponctuelles ou hors sol font peser un risque d’ubérisation des pratiques médicales. Il est par ailleurs nécessaire de former les médecins et les autres professionnels de santé, accompagner les patients dans le recours à cette forme de consultation, faire accepter la présence ou l’intervention d’un tiers (en l’occurrence le pharmacien) dans la relation médecin-patient… Ce nouveau service est une petite révolution en médecine de ville. Il faut se donner du temps pour que toutes les parties prenantes s’y adaptent !

Justement, comment les pharmaciens vont-ils concrètement s’organiser ?
S. S. D. :
Les conditions requises et les modalités financières sont définies dans l’avenant 15. Il reste des questions que les usages trancheront. Dans quels cas de figure la présence du pharmacien, pendant la téléconsultation, sera requise ? Quelles seront les situations d’urgence où une téléconsultation non programmée pourra être réalisée ? Comment s’assurer de la disponibilité du médecin dans les créneaux horaires des téléconsultations officinales ? Nombre de ces questions trouveront des réponses au niveau des territoires, dans le cadre des CPTS et des relations interprofessionnelles.

La question des télésoins pharmaceutiques apparaît au côté de la téléconsultation. Que prévoit la future loi de santé ?
S. S. D. :
Les télésoins en pharmacie s’inscrivent dans la continuité des entretiens, des bilans de médication, du conseil pharmaceutique… C’est l’utilisation des nouvelles technologies pour pratiquer l’art pharmaceutique. Il s’agit de transposer des pratiques et des services déjà existants dans le domaine du suivi à distance des patients, et de donner un cadre légal à cette transposition. Le projet de loi définit le télésoin comme une « pratique de soins à distance utilisant les technologies de l’information et de la communication qui met en rapport un patient avec un ou plusieurs pharmaciens ou auxiliaires médicaux ». Son développement apportera une réponse utile dans les déserts médicaux, ou pour des personnes fragiles en perte d’autonomie, par exemple. et dans les territoires caractérisés par un enclavement géographique limitant l’accès aux soins. (les contours, le cadre et les modalités de financement de ces nouveaux actes seront définis conventionnellement par les représentants de la profession et l’Assurance-maladie).

Ces évolutions récentes de l’exercice officinal suscitent certains doutes ou craintes au sein de la profession. Quels conseils donnez-vous aux pharmaciens pour s’y adapter ?
S. S. D.
: La principale difficulté tient dans l’adaptation des organisations officinales : aujourd’hui, 92 à 95 % du temps officinal concerne une réponse pharmaceutique à des soins non programmés. Le temps du service n’est pas le temps du comptoir. Et le comptoir n’est pas le seul lieu du service pharmaceutique. Les équipes officinales doivent à la fois se former et adapter leur organisation de travail à des activités programmées de soins et de services. Le défi à relever est avant tout organisationnel. Les pharmaciens ont le temps de réfléchir à l’organisation la mieux adaptée à leur mode d’exercice. Ils doivent par ailleurs bien étudier les différentes offres régionales ou privées, les différentes solutions technologiques et commerciales avant de s’engager. Ils doivent enfin et surtout rencontrer les acteurs médicaux de leur territoire pour définir ensemble la meilleure solution à apporter aux besoins de la population en matière de consultation à distance : c’est véritablement une réponse interprofessionnelle à l’accès aux soins. Ces mois d’attente doivent être mis à profit pour mener ce travail de réflexion et de préparation.

Propos recueillis pour Les Echos Publishing et le réseau d’expertise-comptable CGP par Hélène Charrondière, directrice éditoriale en charge du Pôle Pharmacie-Santé des Echos Etudes (interview réalisée le 20 mars 2019).

Pour aller plus loin sur les perspectives du marché de la télémédecine et du télésoin, consulter la présentation détaillée de la nouvelle étude multiclient réalisée par Les Echos Etudes et La Pharmacie Digitale, en partenariat avec Direct Medica

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LES ECHOS ETUDES 12 juin 2019
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